DROITS TV LIGUE 1 : TOUJOURS SANS DIFFUSEURS, LE FOOTBALL FRANçAIS JOUE SA SURVIE

A deux mois du coup d’envoi de la saison, personne ne sait qui diffusera le championnat de Ligue 1 de foot. Pourquoi le dossier s’enlise-t-il ? Quelle est la stratégie de la LFP? Explications.

Les négociations jouent les prolongations : alors que le marché des transferts vient d’ouvrir ses portes en Ligue 1, les clubs de football sont bien en peine de se positionner. De combien d’argent chacun d'eux dispose-t-il pour s’acheter de nouveaux joueurs ou prolonger les actuels, dans la perspective de la prochaine saison ? Tout le monde est dans le flou. Une situation qui s’explique par l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le football professionnel français. D’ailleurs, le tour de vis annoncé il y a quelques jours par le patron du Racing Club de Lens, l’homme d’affaires Joseph Oughourlian, spécialiste de la finance, en dit long sur ce qu’anticipent les propriétaires de clubs de foot français : 2024 sera la saison de la rigueur. «Le football professionnel continue de payer le résultat désastreux de la décision prise il y a six ans d’attribuer, dans le respect des règles strictes de l’appel d’offres, les droits de la Ligue 1 à un acteur qui n’en avait pas les moyens», a reconnu la semaine dernière Vincent Labrune, président de la Ligue de football professionnel (LFP) auprès de l’AFP.

Il faut dire que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour la saison 2023-2024, les droits TV de la L1 et de la L2 ont rapporté 734 millions d’euros bruts à la Ligue de football professionnel, versés principalement par Amazon et Canal+ pour la diffusion en France, et par BeIn Sports pour l’international. Seulement, tout ne revient pas dans la poche des clubs de foot puisqu’il faut payer les frais de fonctionnement de la LFP, ses salaires, ainsi qu’une ribambelle de contributions financières, que ce soit pour le développement du football amateur ou pour faire tourner le syndicat des joueurs pros.

Une fois toutes ces dépenses retranchées, les clubs se partagent alors un peu moins de 500 millions d’euros, mais pas de façon équitable puisque la LFP donne une prime au classement sportif (environ 30% de la note), à la notoriété (20% du barème) et au parcours réalisé en coupe d’Europe. À la vue de ces critères, le Paris Saint-Germain, principal atout de la Ligue pour vendre ses droits, s’adjuge ainsi une belle part du gâteau.

Même sans diffuseurs, le fonds CVC entend bien se faire payer

Seulement, avec les négociations à rallonge autour des prochains droits TV (2024-2029), cette enveloppe globale est déjà orientée à la baisse. Par rapport aux 734 millions d’euros de la saison passée, la LFP n’espère plus que 500 millions pour les droits domestiques, auxquels s’ajouteront environ 150 millions de droits à l’international, Vincent Labrune ayant communiqué la semaine dernière aux présidents de clubs que la LFP obtiendrait bien un doublement des revenus issus des diffuseurs étrangers. Logique tant tout le monde s’accorde à dire que ces droits avaient été particulièrement mal vendus ces dernières années malgré la présence de stars internationales comme Messi ou Neymar.

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Moins d’argent des diffuseurs français, un peu plus des internationaux, la balance est déjà dans une mauvaise posture mais elle va encore pencher plus fort car cette année 2024 marque le début de la ponction que va effectuer le principal partenaire financier de la LFP, le fonds d’investissement CVC, qui est venu injecter 1,5 milliard d’euros dans la société commerciale de la Ligue, LFP Media, en échange de 13% des revenus annuels générés par la Ligue sur les 50 prochaines années ! Et pour cette saison, ce ne sera pas 13% mais 20% puisque CVC avait accepté de ne pas se payer les deux premières saisons pour laisser un peu d’air aux clubs, gravement touchés par le Covid et le fiasco de Mediapro.

Vincent Labrune au siège parisien du cabinet d'avocats Clifford Chance le 12 septembre 2023 lors de la présentation de l'appel d'offres de la Ligue 1 S.P / Capital

Mais le fonds, dont l'investissement dans le football français est piloté par Édouard Conques, n’est pas du genre à faire une nouvelle fleur à la LFP. S’il travaille de concert avec la Ligue pour développer le produit football, avec des réussites comme le doublement du contrat de naming (20 millions d'euros par an versé par McDonald's contre les 10 millions d'Uber Eats) ou le rachat de la plateforme de fantasy football «Mon petit gazon», il entend bien récupérer sa mise de départ. Or les projections réalisées lors de la constitution de la nouvelle société commerciale dans laquelle a investi (financièrement et managéralement) CVC, valorisaient le championnat de France autour du milliard d’euros de droits TV. Un chiffre longtemps espéré par Vincent Labrune et qui aurait permis à tout le monde de s’y retrouver.

Le pari risqué de la chaîne LFP

Seulement, c’était sans compter la position du diffuseur historique du football français, Canal+ (propriété de Vivendi, actionnaire de Prisma Media, éditeur de Capital), qui répète depuis des mois qu’il n’a plus besoin de la Ligue 1 pour garnir sa grille de programmes, où figure en bonne place la prestigieuse Ligue des Champions, dont il détient les droits jusqu’en 2027. Et certainement pas à n'importe quel prix ! La LFP s’est donc tournée vers BeIN Sports (propriété du Qatar, comme le PSG) et s’est mise d’accord avec la chaîne de sport premium pour une offre globale autour de 500 millions d’euros par saison.

Mais BeIN est lié avec Canal+ autour d’un contrat de diffusion exclusive, qui garantit actuellement un chèque de 200 millions d’euros pour la chaîne qatarie en échange de sa présence exclusive dans les offres commercialisées par Canal. Un accord qui a mis des années à se mettre en place puisque l’autorité de la concurrence a mis des bâtons dans les roues à ce projet industriel aujourd’hui gagnant-gagnant pour les deux groupes. En payant 500 millions d’euros à la LFP mais en ne touchant que 200 millions de Canal, BeIN Sport ne s’y retrouverait pas. C’est pourquoi le groupe tente de négocier avec Canal pour une nouvelle répartition avec la chaîne cryptée… que cette dernière ne semble pas encline à accepter.

Face à ce blocage, la LFP, qui a discuté un temps avec un nouvel entrant, la plateforme britannique DAZN, a donc activé un plan B, celui de monter sa propre chaîne 100% Ligue 1, qu’elle proposerait aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et aux plateformes digitales. Comme détaillé par L’Equipe il y a quelques jours, cette chaîne serait commercialisée autour de 25 euros par mois pour l’exclusivité de la Ligue 1. Une somme rondelette, puisque supérieure à l’offre qui était sur le marché cette année, à savoir celle d’Amazon Prime Video (14,99 euros/mois pour la Ligue 1+ 6,99euros/ d’abonnement au service Prime), qui n’attirait déjà qu’environ 1,7 million d’abonnés selon les estimations de NPA Conseil. Avec un contrat à 250 millions d’euros pour diffuser 8 matchs par journée de championnat, plus environ 50 millions d’euros de frais de fonctionnement annuel, Amazon aurait perdu 130 millions d’euros par saison toujours selon NPA Conseil. Si la LFP allait au bout de son scénario à 25 euros, ce serait un pari très risqué. Mais ce ne serait pas le premier.

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